jeudi 12 juin 2008

LE SURREALISME TRIOMPHANT

André Breton l’avait rêvé, le XXIe siècle l’a réalisé : le surréalisme a triomphé dans nos sociétés. Ce mouvement subversif fondé sur l’écriture automatique connait de nos jours un aboutissement imprévisible. Breton appelait de ses vœux l’alliance du réel et de l’imaginaire : il suffit de lire les pages d’accueil sur le net de n’importe quel quotidien pour constater la réalité de cette victoire. Les titres de une défilent sans lien apparent, comme si des idées incongrues, terribles, inutiles, amusantes, traversaient l’esprit d’un démiurge inassouvi. Tremblement de terre en Chine, Raz de marée en Birmanie, Royal candidate au PS, dernière journée du championnat de France de football, Woody Allen à Cannes, Naples sous les poubelles, la déforestation de l’Amazonie continue, grève des pécheurs… La qualité dans la quantité ou une liste à la Prévert, toujours dans les bons coups dès qu’il s’agit de jouer avec les paroles. Einstein pourrait être convié à cet exorde, afin de démontrer que la relativité n’est pas un vain mot et qu’à rendre les cadavres exquis, les nouveaux surréalistes de la toile en oublient la hiérarchie. Mais quelle est-elle ? Le bon peuple, qui résiste du fonds des âges, adore toujours les mêmes idoles : sportifs/guerriers, Cannes/Dionysies, comédiens/tragédiens, et acclame et conspue les mêmes dirigeants : président/tyran/stratège, Assemblée/Ecclésia. S’il s’émeut du sort des victimes de la nature, grâce à la puissance émotionnelle véhiculée par les médias, il oublie jusqu’à leur existence une fois les feux des projecteurs éteints. Il trie ses déchets, donne son aide bénévole pour nettoyer les plages, conspue les conducteurs de 4x4 mais regarde avec des yeux vides son oxygène s’évaporer depuis l’Amérique du Sud. La famine revient en force, et le diesel coute aussi chez que l’essence. Quelle est la priorité ? Le PSG, l’Euro Foot qui se profile, les Jeux Olympiques en direct ou le flash sur la dictature militaire au Myanmar. Il aura donc fallu un cyclone, responsable de 134 000 morts pour que l’Occident s’intéresse à nouveau à un pays écrasé depuis près de vingt ans pas une armée sanguinaire. Cela ne durera pas, tout doit rentrer dans l’ordre prochainement. Roland-Garros s’échauffe porte d’Auteuil, quelques poussées d’adrénaline sur les bancs de l’Assemblée, des échanges en couleur entre sarkozystes et socialistes, deux trois manifs avant l’été et la France peut se rendormir au soleil de son mécontentement chronique de vieille nation neurasthénique. Cela vous semble surréaliste ? Je suis sur que non, car rien n’est original ni choquant dans cette péroraison. Il ne peut y avoir de prise de conscience collective car la masse n’est que négativité. En ce sens, le web incarne exactement la société moderne : instantanée, boulimique, désordonnée, foisonnante, incontrôlable. Et avec une mémoire intrinsèque qui devrait sédimenter son histoire mais qui se noie dans les sables mouvants de l’urgence de la nouveauté. Ceci n’est pas notre temps.

@ 18 mai 2008

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